La pluie est bien tombée pendant la nuit, mon poncho est devenu une fontaine pour oiseaux. Heureusement, ce matin, il ne pleut plus, la journée va être longue. Il me reste 20 km de marche pour rejoindre la prochaine ville. De bon matin, rien de mieux qu’une marche, je m’élance alors d’un pas lent mais décidé.
Quelques centaines de mètres plus loin, j’arrive à une aire de détente, au « Chalet à soucy », comme il se fait appeler, table pique-nique, préau, toilette sèche, tout ce qu’il faut pour dormir au sec avec les commodités. C’est ça l’inconvénient de marcher sans plan détaillé, on ne sait pas si on doit continuer à marcher un peu ou non. Pas grave, j’en profite qu’en même en me posant pour déjeuner.
Je continue mon chemin dans ce long couloir de verdure, en essayant de deviner, en comptant les virages, où je peux me trouver avec ma carte routière. La route est longue et je n’ai aucun point de repères, je ne vois pas le lac, je ne vois pas les montagnes, je ne vois rien, le ciel est gris et les arbres m’entourent. Je marche à l’aveuglette, il n’y a qu’un chemin, mais ne pas savoir à quel niveau je suis et dure, car je ne sais pas évaluer ma progression et je ne sais pas si mes 20km s’effacent rapidement ou non. A chaque nouveau virage j’ai l’impression de revenir sur la même route, une nouvelle ligne droite s’offre à moi, je vois toujours les mêmes limaces se livrant à des dessins baveux sur le sol, je vois deux renards traverser la route. Est-ce le même? Je n’en sais rien, mais cela encourage mon impression de refaire toujours le même chemin en continu. Je suis dans une autre dimension, le paysage défile sur un fond roulant et arrivé au bout, je me retrouve à devoir retraverser le même décor en continu.
Une voiture, un élément nouveau, elle arrive en face de moi et me dépasse sans un regard, mais tout de même un salut de la main de son conducteur.
Mon sac est soumis a une pesanteur, sans doute celle de cette dimension étrange dans laquelle, je me retrouve piégé. Je ne compte plus les pauses. Je m’arrête, m’assieds sur mon sac, m’allonge dessus, je me détends les muscles, les épaules, le dos. Je marche 500m, un peu plus, 650m, puis je me pose, je m’assieds, je m’allonge sur mon sac, je me détends. 500 m plus loin je refais la même cérémonie. La distance de marche n’augmente pas, mais la durée des pauses s’allonge.
Une voiture, un élément nouveau, elle arrive par derrière moi, c’est la même que tout à l’heure, cela fait presque 2h qu’elle m’a doublé et cette fois-ci elle s’arrête. Elle me prend et m’emmène à Sayabec. J’ai fait 15km en 4heures de marche lente et lessivé. La voiture me conduit même au de là de Sayabec, elle me dépose chez son propriétaire.
Je suis retour à la civilisation, bienvenue à la 132. L’ensemble de mes muscles ont travaillé depuis ce matin, même mon cerveau, qui m’a emmené pas loin de la folie. Un membre est resté inerte néanmoins, je le pendis alors comme un glaive, les automobiles prennent peur. Les voitures passent et restent indifférentes à ma proposition, mon pouce tendu vers le ciel en priant une âme généreuse de s’arrêter ne fait aucun effet à ces aveugles.
Tous aveugles sauf, un, Yves Bouillon, arrêtant sa Chrysler et me permettant d’embarquer mon sac et moi à l’arrière. Yves est accompagné, de sa femme … (désolé j’ai oublié ton prénom). Ils se rendent à Rimouski, pour aller voir leur fille, une de leurs filles, car ils en ont trois et un gars. Il est midi, nous nous arrêtons pour manger, chez un célèbre clown. Cela faisait bien plus d’un an que je n’étais pas allé lui rendre visite, merci Yves, tu as mis fin à mes bonnes résolutions.
Notre repas gastronomique fini, nous reprenons la route. Je pensais aller jusque Mont-Joly, aujourd’hui, mais vu que mes chauffeurs vont plus loin, je me laisse conduire.
Il faut avouer que je ne peux pas continuer comme ça, je n’arrive plus à porter mon sac, je n’arrive même plus à me porter moi même par endroit. Cela va faire 24 jours, que je suis parti de Montréal, j’ai fait 1400km en vélo, j’ai fait 400km en pouce, 70km en marche. Cassé deux vélos, mon dos, et un verre. Il est tant de finir l’aventure et retourner à la grande ville québécoise qui m’a possédé pendant une année. Il est temps de retrouver les amis, profiter des derniers moments ensemble avant les « au revoir » déchirants. Je retourne donc à Montréal aujourd’hui.
Je me fais déposer sur l’autoroute à la sortie de Rimouski, je me mets sur le terre plein de la voie d’accélération et tends mon pouce, 5 minutes passent et des jeunes Québécois s’arrêtent. Pour leur sécurité, je ne dévoilerai pas de noms, car ces habitants de Lévy âgés de 22 ans et 19ans, fumant du pot en conduisant et revenant d’une soirée bien arrosée ne m’ont pas laissé un souvenir serein du voyage. Le garçon avait l’air sombre, donc j’ai continué la route avec, mais en même temps comment demander à quelqu’un de me déposer ,car il ne t’inspire pas confiance, en plein milieu de l’autoroute? Je reste donc à l’arrière participant le moins possible à l’animation du véhicule. La sono est à fond, donc quand le chauffeur me parle et veut entendre ma réponse il se retourne. Je ne réponds donc plus à aucune question faisant le gars fatigué. Je critique mais en fin de compte, j’ai fait plus 400km avec mes toxicos donc je les remercie beaucoup. C’est donc après beaucoup de stress, un problème de trou dans le pot d’échappement, et une collision avec un vélo éviér de justesse, que je me retrouve de nouveau seul sur le bord de l’autoroute.
Comme tout à l’heure, je suis sur le terreplein avec le pouce tendu, le seul changement est la pluie. Réduisant la visibilité des voitures, personne ne s’arrête et je les comprend, car c’est dangereux avec le temps qu’il fait. Néanmoins une voiture s’arrête, feux clignotant, bleu et rouge, une voiture de la police routière. Le policier ouvre sa fenêtre, pardon madame, la policière ouvre sa fenêtre, me signale que c’est interdit de faire du pouce ici et me demande où je vais . Je lui apprends donc que je me rends à Montréal, et elle m’invite à monter dans la voiture pour me déposer plus loin, à une autre entrée, où les voitures sortant de Québec et allant à Montréal, sont obligées de passer. Sur la route, madame, l’agent, s’informe sur moi pour savoir si je ne suis pas recherché. Ça va j’ai mon cassier vierge, elle me dépose donc où je peux faire du pouce légalement en toute sécurité.
La pluie tombe encore, mais Tarkan a pitié de moi. Me voici en partance pour Montréal, dernière ligne droite et dernier conducteur, Tarkan, publiciste à Montréal. Nous parlons musique, voyage, famille,… Nous parlons de tout, le temps passe vite et nous arrivons déjà en vue de la cité. Habitant sur Longueuil et ayant une réunion dans 20 minutes, Tarkan me dépose au métro Longueuil. Je prends donc le métro, direction Jarry.
Mon retour à l’urbanisation est brutale, ce matin, j’étais seul en forêt et quelques heures après je suis seul au milieu d’une foule, je suis dans la société moderne. J’ai dormi dehors pendant 3 semaines, en paraissant pour illuminé pour certains et en regardant les gens dans le métro, ceux sont eux qui me paraissent être des fous à prendre plaisir à vivre leur vie.
Je suis dans la rue Jarry, encore quelques rues et je suis de retour chez moi, enfin pas chez moi, vu que je n’ai plus d’appart mais chez André. Vu l’heure, je passe d’abord chez David en me disant qu’ils doivent être là pour partir promener le chien, mais personne. Je sonne donc chez André, une tête passe de la porte à l’étage et André descend alors pour venir m’ouvrir. J’ai le sourire jusqu’aux oreilles. Nous montons et le temps est aux retrouvailles, au résumé de l’aventure, à la joie partagée, puis au sommeil mérité.
![06Juin06](https://levagabondeur.wordpress.com/wp-content/uploads/2010/07/06juin06.jpg?w=500&h=313)
Amqui - Montréal 610 km (19 km de marche)
![06Juin01](https://levagabondeur.wordpress.com/wp-content/uploads/2010/07/06juin01.jpg?w=500&h=333)
Chalet à soucy
![06Juin04](https://levagabondeur.wordpress.com/wp-content/uploads/2010/07/06juin04.jpg?w=500&h=333)
![06Juin03](https://levagabondeur.wordpress.com/wp-content/uploads/2010/07/06juin03.jpg?w=500&h=333)
![06Juin02](https://levagabondeur.wordpress.com/wp-content/uploads/2010/07/06juin02.jpg?w=500&h=333)
Tarkan
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Arrivé chez le Chamane 222 (photo prise par lui)